L’Afrique qui a résisté au colonialisme classique, est aujourd’hui appelée à se prémunir contre le colonialisme cognitif

ALGER – La secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, chargée des Affaires africaines, Mme Bakhta Selma Mansouri, a affirmé, dimanche à Alger, que l’Afrique, qui a résisté au colonialisme classique et qui fait face au terrorisme, est aujourd’hui appelée à se prémunir contre le colonialisme cognitif et la manipulation informationnelle.
Mme Mansouri s’exprimait lors des travaux de l’Atelier régional du Bureau de l’Afrique du Nord du Comité des services de renseignement et de sécurité d’Afrique (CISSA), qui ont débuté dimanche au Centre international de conférences Abdelatif-Rahal (CIC, Alger), sous le thème « Les répercussions des fake news et de la désinformation sur la sécurité et la stabilité des Etats ».
A cette occasion, la secrétaire d’Etat a affirmé que le thème de l’atelier revêt une importance capitale et intervient à un moment crucial pour la région, relevant l’importance du cadre spécialisé qui ouvre la voie à l’échange de vues et d’expertises entre les services de sécurité et de renseignement africains, au moment où les menaces non conventionnelles, à leur tête la désinformation, figurent parmi les plus grands défis transfrontaliers auxquels sont confrontés les pays africains.
Cet atelier « se penche sur l’une des plus graves menaces contemporaines, à savoir les guerres informationnelles et cognitives qui ciblent la stabilité des Etats et la cohésion des sociétés de l’intérieur (…) », a-t-elle précisé, faisant observer que « d’un outil d’éclairage et de conscientisation, l’information s’est transformée, aujourd’hui, en une arme non conventionnelle, utilisée pour désagréger les sociétés, influencer la décision des Etats et orienter l’opinion publique vers des agendas tendancieux sous couvert de liberté d’expression et d’ouverture numérique ».
L’Afrique est devenue une arène pour ce type de guerres silencieuses, a déploré la diplomate, soulignant que, ces dernières années, les élections ont été la cible privilégiée des campagnes de désinformation dans plus d’une vingtaine de pays africains. « Ces campagnes sont utilisées pour saper la confiance des peuples dans les processus électoraux, semer le doute sur la légitimité des institutions et entraîner le chaos », a-t-elle alerté.
En effet, « l’expérience sur le terrain nous montre comment les plateformes numériques sont utilisées pour diffuser de fausses nouvelles et salir les symboles nationaux (…) comme cela s’est produit dans plusieurs pays du Sahel », a ajouté Mme Mansouri.
Et de souligner que l’Afrique, « qui a résisté au colonialisme classique et qui fait face au terrorisme et à l’hégémonie économique, est aujourd’hui appelée à se prémunir contre une nouvelle forme de colonialisme : le colonialisme cognitif, l’aliénation numérique et la manipulation informationnelle », soutenant que « la bataille de l’information est une bataille pour la souveraineté, la légitimité de l’Etat et la cohésion des sociétés ».
« Nous faisons face à ce qu’on pourrait qualifier de guerre cognitive, menée par des acteurs non gouvernementaux, parfois pour le compte de certains Etats, via des réseaux médiatiques, des robots intelligents ou par le biais de faux influenceurs », a-t-elle prévenu.
Cette réalité, a-t-elle dit, « exige de nous une action sécuritaire et stratégique coordonnée, mais aussi et avant tout une prise de conscience », considérant que « la lutte contre la désinformation est certes l’affaire des journalistes et des experts techniques, mais c’est avant tout une priorité souveraine et un enjeu de sécurité nationale ».
La Secrétaire d’Etat a, à cet égard, proposé au débat trois niveaux d’action commune. Le premier concerne la vigilance et la coordination informationnelle entre les corps de sécurité, à travers la création d’un mécanisme africain de détection des fake news, basé sur un système d’intelligence artificielle africain, développé par des compétences africaines, qui sera chargé d’analyser les mégadonnées et de coordonner, en temps réel, avec les salles d’opération sécuritaires des pays africains, a expliqué Mme Mansouri.
Le deuxième niveau est d’ordre juridique et institutionnel, a précisé la secrétaire d’Etat, appelant, à cet égard, à la mise en place d’une charte africaine pour la lutte contre la désinformation à intégrer dans le système de sécurité cybernétique africain.
Le troisième et dernier niveau est, quant à lui, lié à la prévention à travers « une nouvelle éducation médiatique » dans les écoles, les universités et la presse publique, en associant la société civile, les jeunes et les élites culturelles, afin de conscientiser la société et de lui permettre de distinguer le vrai du faux, a-t-elle encore expliqué.
Elle a, dans ce cadre, appelé à « œuvrer ensemble pour l’édification d’un espace informationnel africain libre, souverain et sûr ».